Le Layon, cette rivière paisible sous vos yeux, est née d'une faille géologique très importante il y a 300 millions d'années.

Le département du Maine et Loire est en effet ( et grossièrement ) divisé en deux :

d'un côté : le Massif Armoricain, la faille du Layon serait un prolongement de la Pointe du Raz, et oui..

De l'autre : le Bassin Parisien et son calcaire, son tuffeau, matière première des châteaux de la Loire.

Sur cette faille, parallèle au Layon, on exploite le charbon, la chaux et même de l'or, de Doué la Fontaine à Ingrandes.

En bas de cette faille, donc,  coule le Layon dont la pente naturelle passe d'une centaine de mètres d'altitude à l'étang de Beaurepaire, à moins de 20m à Chaudefonds sur Layon.

Il est naturellement ponctué de moulins et de villages, dans les prairies l'agriculture est l'activité principale, c'est une rivière habitée, entretenue, tranquille et active.

Il n'en fallait pas plus pour qu'en 1771, on entreprenne d'en faire une nouvelle autoroute fluviale.

Depuis le moyen âge, le charbon de la faille du Layon est utilisé, chacun faisant son propre puit d'extraction.

Mais au milieu du 18ème siècle, alors que l'industrie et la démographie augmente, le bois vient à manquer pour chauffer. Une solution doit être trouvée.

Louis XVI décide donc d'ouvrir les mines de charbon aux compagnies minières. Cela permet d'avoir une énergie alternative, s'appropriant au passage les terrains, tout en déclarant que tout ce qui se trouve en sous-sol lui appartient pour en tirer profit. Aller hop !

À cette époque, les Anglais font du commerce de gros et livrent du charbon aux Français par bateaux jusqu'à Nantes. Les cargaisons de minerai, remontent ensuite la Loire pour alimenter en combustible le centre du pays.

Saint-Georges-de-Chatelaison*, à quelques kilomètres, voit d'ailleurs s'installer la plus ancienne compagnie minière de l'Anjou, au Château des Mines, alors le bureau de direction de la Compagnie. Elle a de grandes ambitions et entend bien reprendre le marché sur tout l'Anjou, le Poitou, la Touraine et la Bretagne aux Anglais.

La Loire est à cette époque la plus grande route commerciale fluviale de France ; et jusqu'ici, la Compagnie des Mines doit faire transporter son charbon à dos de mulet jusqu'à Saumur, le port le plus proche, pour l'acheminer à ses clients via le fleuve.  Un projet de canalisation du Layon pour créer une nouvelle voie navigable reliant le Layon au fleuve à Chalonnes-sur-Loire avait déjà vu le jour avant d'être abandonné, plusieurs années auparavant.

Or, il en va de la rentabilité de l'entreprise que de d'éviter ce transport à dos de mulet, qui coûte très cher, pour une ressource n'ayant pas de grande valeur en petites quantités. Le meilleur moyen serait donc de reprendre ce projet avorté de canalisation du Layon.

En 1771 ce projet fait rêver la Compagnie. Laquelle va subir plusieurs changements de propriétaires et d'actionnaires au fil du temps. Ceux-ci, pour la plupart, n'y connaissant rien à la création et l'entretien de mines et d'un canal.

Elle obtiendra, du Conseil du roi, la possibilité de faire des travaux de canalisation mais seulement à ses propres frais et en indemnisant tous ceux qui se trouvent sur le parcours du canal. Les travaux démarrent le 22 septembre 1774, un peu à l'arrache, sans vraiment faire de consultation publique et avec des plans qui sont défaillants.. Mais surtout sans informer la population du début des travaux !

Entre 500 et 900 ouvriers sont mobilisés pour la construction du canal. Jusqu'à 1500 hommes à la fois. L'entreprise n'est pas facile, c'est un gouffre financier et logistique, chaque village faisant barrage pour défendre ses biens, droits et propriétés.

En 1775 la Compagnie a dépensé tous ces fonds et veut "marquer le coup" pour obtenir plus de soutient en faisant une grande opération de communication. Elle veut donner une certaine légitimité ainsi que du prestige à ce projet pharaonique en appelant le canal du Layon le "Canal de Monsieur".

Elle rend ainsi hommage au frère du roi Louis XVI**.

Sauf que "Monsieur", alors Prince, Comte de Provence, Duc d'Anjou et bientôt Louis XVIII, n'a pris aucun parti dans cette affaire, n'y a rien investi, voir s'en fiche complètement et n'est même pas venu en Anjou !

Les travaux finiront deux ans plus tard, et lors de l'inauguration officielle en décembre 1776, le pavillon de "Monsieur" frère du roi flottera au dessus de la foule, dans l'indifférence totale de l'intéressé...

Mais tout le monde y a cru, et c'est tout ce qui compte.

Chaque portes, ecluses, crues, détails, de ce canal est un problème. Les mines aussi sont un problème. Au point que nombre de directeurs se relaieront au poste. Pourtant cet ouvrage incroyable servira bel et bien, et des mariniers emmèneront les marchandises sur le canal de Monsieur.

Juste ici, devant vous, passaient régulièrement 28 bateaux de 21 mètres chacun. 

1789, 12 ans plus tard, La Révolution Française éclate.

En 1793, soit 4 ans plus tard, la guerre de Vendée entre les royalistes et les républicains viendra saccager l'ouvrage sur toute sa longueur. Les ponts du Layon seront détruits pour empêcher l'ennemi de passer, comme raconté sur la fiche lieu du Pont Barré. Des boulets tomberont sur les écluses et autres ouvrages.

Après cet épisode de guerre civile, le canal de Monsieur sera inutilisable.

Et en 1794 le charbon repart à nouveau à dos de mulet jusqu'à Saumur.

C'est un peu fou de se dire qu'en si peu de temps, avec beaucoup d'hommes et beaucoup (vraiment beaucoup) d'argent, les meilleurs ingénieurs se sont relayés pour créer puis améliorer la navigation sur plus de 50 km de Layon, qui n'aura duré qu'une petite quinzaine d'années..

C'était vraiment pas gagné et pourtant ils l'ont fait... Alors c'est un peu dommage qu'aujourd'hui il n'en reste rien pour en témoigner.

*Saint-Georges-de-Chatelaison s'appelle aujourd'hui Saint-Georges-sur-Layon, et est rattaché à la commune de Doué la Fontaine.

** "Monsieur" est toujours le nom que l'on donne au frère du Roi.

Depuis ce panneau "Canal de Monsieur" empruntez le sentier sur votre gauche sans franchir le pont.

C'est une petite boucle de quiétude autour du Layon qui vous attend.